- RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE
- RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUEAu principe général de la responsabilité de l’homme, tel que le pose le Code civil dès 1804, le droit public opposait un principe concurrent d’irresponsabilité de l’État sauf décision gracieuse, au motif de la sujétion née de l’intérêt général. Mais, dès la fin du XIXe siècle, l’idée de la responsabilité l’a emporté. Le principe a été posé par le Conseil d’État, dans sa décision Blanco (8 fév. 1873), aux termes de laquelle «la responsabilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers, par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier. Cette responsabilité n’est ni générale ni absolue. Elle a ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service et les nécessités de concilier les droits de l’État avec les droits des particuliers».Cette jurisprudence illustre la spécificité de ce principe de responsabilité de droit commun, en vertu duquel la puissance publique, et en tout premier lieu l’État, serait responsable des dommages causés de son fait à des particuliers, dans l’exercice d’activités mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique, et devrait dès lors réparer le préjudice subi, par l’octroi de dommages et intérêts. Mais le principe, une fois admis, n’était pas sans limites.L’aspiration contemporaine à la réparation a remis en cause le caractère relatif de cette responsabilité au bénéfice d’une protection plus automatique. L’évolution des conditions d’ouverture de la responsabilité répond ainsi au besoin d’assurer une meilleure protection juridique, d’autant que l’interventionnisme de l’État rend cette garantie socialement nécessaire et politiquement utile.En effet, la finalité de la responsabilité n’est pas tant de réparer le tort causé que de rétablir une égalité devant les charges publiques: égalité brisée par la faute de l’administration, qui est le fait générateur du dommage; égalité brisée par l’exposition au préjudice anormal que constitue le risque présenté par certaines activités publiques; égalité qu’il convient de garantir à toute personne utilisant des biens ou des services publics.Le champ d’application d’une telle responsabilité a connu une large expansion. Il couvre la totalité de l’action administrative des personnes publiques. Les domaines d’irresponsabilité sont résiduels. Ils n’intéressent plus que les actes qui ne peuvent être, en général, soumis à l’appréciation du juge – actes législatifs; actes de gouvernement –, ou bien concernent les dommages qui ne sont pas des préjudices indemnisables – dommages fréquents et de peu d’importance considérés comme des désagréments que chacun supporte pour le bien de la collectivité.Le régime de la réparation permet de concilier tant les exigences de l’intérêt général que le respect des droits des particuliers que le besoin croissant de garantie qui anime notre société. Et si, autrefois, il n’avait pour fondement que la faute prouvée, aujourd’hui, il se caractérise par une appréciation plus large des fautes de nature à ouvrir droit à réparation et par l’établissement, aux côtés du régime de droit commun pour faute, d’un régime de responsabilité pour risque, dissociant ainsi les notions de faute et de responsabilité.Enfin, on peut se demander si l’on n’assiste pas à l’apparition d’un comportement nouveau qui préfère à l’engagement d’une responsabilité administrative anonyme la mise en cause pénale des agents fautifs, révélant ainsi la résurgence d’un besoin de vengeance au détriment d’une aspiration à la réparation.La responsabilité de droit communLe principe est celui de la faute prouvée, cause du préjudice dont il est demandé réparation. Cette faute peut être un fait matériel ou un acte juridique. Elle est réalisée par un homme intervenant en qualité d’agent, de représentant ou de préposé de la personne morale. Mais n’importe quelle faute ne peut suffire à mettre en jeu la responsabilité publique. La faute doit être caractérisée. En certaines matières, il est parfois exigé qu’elle présente un certain degré de gravité pour qu’il y ait lieu à réparation. Elle doit être imputable à une personne publique.Les différentes fautesLes critères de la faute sont multiples. Planiol la définissait comme un manquement à une obligation préexistante. Le juge saisi doit se livrer à une appréciation concrète et objective des faits qui lui sont soumis pour déceler l’acte qui, par sa nature ou sa finalité, n’appartiendrait pas à l’ordre des préoccupations légales de l’administration. Ainsi une décision illégale, un acte inadéquat, des renseignements erronés, des promesses imprudentes, des maladresses techniques, des négligences ou le défaut de faire respecter une réglementation sont considérés comme fautifs.De telles fautes peuvent avoir été commises par les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, révélant ainsi le mauvais fonctionnement du service public. Peu importe que l’on ait pu ou non individualiser l’auteur de la faute, car sa personnalité est sans incidence sur la commission d’un acte qui, selon les mots de Laferrière, révèle non l’homme, mais l’administrateur plus ou moins sujet à erreur. La faute est inhérente à l’action administrative, à tel point que l’on considère que de telles fautes sont le fait du service et doivent être qualifiées de «fautes de service». Dès lors, elles autorisent l’engagement de la responsabilité de la personne publique dont dépend l’agent, ou le service lorsqu’elles sont anonymes.De telles fautes peuvent aussi être le fait d’un homme dont elles illustrent les préoccupations étrangères au service ou bien peuvent avoir été commises en dehors du service. Elles révèlent alors l’«homme, ses faiblesses et ses passions» et sont qualifiées de fautes personnelles. En principe, elles n’engagent que la responsabilité de l’agent fautif, puisqu’elles sont détachables du service, en ce qu’elles sont dépourvues de tout lien, tant par leur finalité que par leur mode de réalisation, avec une activité de service public.Cela étant, l’idée de protéger à la fois les victimes contre l’insolvabilité des agents publics et les agents eux-mêmes contre des poursuites abusives a conduit le juge à restreindre la notion de faute personnelle aux hypothèses de faute commise matériellement ou juridiquement en dehors du service, ou de faute commise à l’occasion du service mais présentant une intention de nuire ou une gravité inadmissible.Parallèlement, une jurisprudence libérale a admis que la responsabilité de la puissance publique puisse être engagée lorsque la faute personnelle est commise dans le service ou lorsque l’agent a trouvé dans le service les moyens ou l’occasion de la faute dommageable. Au juge d’apprécier le lien existant entre la faute personnelle et l’activité du service pour en imputer ou non à la puissance publique la réparation.De même, le juge a admis l’entière responsabilité de la personne publique lorsque le dommage résultait de la conjugaison d’une faute personnelle détachable et d’une faute de service – cas de cumul des fautes (jurisprudence Anguet) – ou lorsque le dommage résultait d’un même fait ayant la double qualification de faute personnelle et de faute de service – cas de cumul des responsabilités (jurisprudence Lemonnier). Étant entendu que l’administration disposait d’une action récursoire à l’encontre de l’agent auteur d’une faute personnelle (jurisprudence Laruelle).Des fautes prouvéesToute faute doit être judiciairement établie pour permettre la mise en jeu de la responsabilité publique. Mais la victime, confrontée à l’obligation procédurale d’administrer la charge de la preuve de la faute qu’elle allègue, peut être désarmée par sa méconnaissance des arcanes administratifs. Viennent alors à son secours les pouvoirs reconnus au juge par la procédure inquisitoriale qui permettent de facto un renversement de la charge de la preuve. Mais vient surtout à son secours, en droit de la responsabilité, l’institution des présomptions de faute.Celles-ci sont favorables aux victimes, puisque l’existence d’une faute est présumée pour autant que l’administration n’a pas apporté la preuve qu’aucune faute qui lui serait imputable n’est à l’origine du dommage.Cette technique est utilisée par la jurisprudence dans divers contentieux, soit que la réalisation du dommage rende vraisemblable l’hypothèse d’une faute, soit que le juge estime excessif d’exiger une preuve qu’il serait extrêmement difficile à la victime d’apporter. Ainsi, en matière d’accident survenu aux usagers d’un ouvrage public, le juge applique la présomption de faute au travers de la notion de «défaut d’entretien normal» de l’ouvrage. Ainsi encore, en matière de soins dispensés à des personnes en traitement dans des hôpitaux publics, le juge estime que le caractère exceptionnel ou anormal du dommage révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service.Les degrés de fauteN’importe quelle faute n’engage pas la responsabilité de la personne publique. Et, pour certaines activités de service public, seule la faute d’une particulière gravité ouvre droit à réparation compte tenu des difficultés particulières de l’exécution du service, de l’exigence de rapidité de l’action ou du caractère matériel de l’activité. Des raisons de protection de l’intérêt public contre des mises en cause trop faciles, de latitude nécessaire à l’action de l’administration ou de difficulté à déceler la faute justifient une circonspection particulière dans la qualification des actes dommageables.La faute lourde est ainsi un moyen pour le juge d’établir un équilibre entre la réparation et les nécessités de l’action publique. Les domaines de la faute lourde étaient traditionnellement les opérations sur le terrain en matière de police administrative, l’accomplissement d’actes médicaux dans les hôpitaux publics, les dommages survenus du fait du fonctionnement du service public de la justice, du service pénitentiaire, des activités de contrôle ou de secours et de lutte contre l’incendie, etc.Mais, de plus en plus, l’exigence d’une faute d’une particulière gravité était ressentie comme une protection indue de l’administration ou une source d’inégalités mal comprises par les justiciables, d’autant que les évolutions des techniques et l’amélioration de la formation des personnels autorisaient légitimement à reconsidérer la nécessité d’une faute qualifiée. Récemment, la jurisprudence administrative, sensible à ce sentiment de réparation a fait basculer certaines de ces matières dans le contentieux de la faute simple. C’est ainsi que, depuis un arrêt du Conseil d’État du 10 avril 1992, la responsabilité des hôpitaux publics, en cas d’acte médical, est engagée pour toute faute et non plus pour faute lourde. Il en va de même pour la responsabilité des services fiscaux en ce qui concerne les opérations simplement matérielles.La responsabilité sans fauteDès la fin du XIXe siècle, on a pris conscience des limites d’un régime uniquement fondé sur la faute prouvée. Et, comme en droit civil, un régime exceptionnel a pris corps pour garantir la réparation des dommages causés accidentellement par les services ou les biens publics, sans que la victime ait à établir la commission d’une faute, sans que l’absence de toute faute ait d’effet exonératoire.Un tel régime garantit le droit à réparation dès lors qu’un dommage est survenu, que celui-ci résulte de la réalisation d’un risque ou d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques.Le risqueLe principe de cette garantie est l’existence d’une situation dangereuse source d’un risque particulier de dommages. Risque qui ne pèse que sur quelques personnes, en raison notamment du caractère accidentel du dommage et de la proximité géographique qu’entretiennent celles-ci avec le service ou le bien. Risque qui doit être équitablement compensé.Cette jurisprudence a été établie dès la fin du XIXe siècle en matière de risque professionnel pesant sur des collaborateurs permanents de l’administration (jurisprudence Cames). Elle n’intéresse plus aujourd’hui que les collaborateurs occasionnels, requis, sollicités ou même spontanés, qui trouvent le fondement de l’indemnisation du préjudice subi à l’occasion de cette collaboration dans la théorie du risque (jurisprudence commune de Saint-Priest-la-Plaine). Mais elle a été étendue aux cas des accidents de travaux publics subis par les tiers ou des dommages causés par les installations, activités, installations et armes dangereuses (jurisprudence Regnault Desroziers). Le domaine le plus récent d’application est celui des méthodes modernes de rééducation, de réinsertion et de soins appliquées aux délinquants ou aux malades mentaux, dont la mise en œuvre laisse aux bénéficiaires une liberté d’action.La rupture de l’égalité devant les charges publiquesL’idée est celle de l’égale répartition des charges nées de l’intérêt général mise à mal par des actes dont la légalité n’est pas discutable, mais par l’effet desquels la puissance publique, par son action ou son abstention, impose à des personnes des sujétions disproportionnées au nom de l’intérêt général.La première hypothèse d’une telle responsabilité est celle des dommages résultant de décisions administratives régulières, individuelles ou réglementaires. Ainsi, par exemple, lorsque, pour des raisons d’intérêt général, l’administration n’a pas pris les dispositions qu’elle devait normalement adopter, le régime est celui de la responsabilité sans faute: relèvent de ce dernier le défaut d’exécution d’une décision de justice, le défaut de rétablissement de l’ordre public ou le défaut d’application d’une décision administrative (jurisprudence Couitéas). La seconde hypothèse est celle de la responsabilité du fait des lois ou des traités internationaux, domaines où la responsabilité est exceptionnellement admise, pour autant que le législateur ou les auteurs de la convention internationale ne l’aient pas exclue (jurisprudence La Fleurette et Compagnie Radio-électrique).Le dommage réparableLa réparation du risque repose sur l’exigence d’un dommage direct, certain, spécial au requérant et anormalement grave. Plusieurs conditions doivent être réunies. Tout d’abord, le fait générateur du dommage ne doit pas être un aléa normal, admissible ou prévisible compte tenu de l’activité en cause. Ensuite, le préjudice doit être caractérisé par le nombre restreint des personnes touchées et l’excès d’inconvénients que produit la mesure. Ce seuil de gravité est variable selon les affaires, mais il se comprend comme une disproportion entre ce que la victime a été obligée de subir et les avantages que la mesure procure à la collectivité. Enfin, le législateur ne doit pas avoir entendu exclure toute idée de réparation, ainsi qu’il est parfois advenu en matière de politique économique ou de rétablissement de l’ordre après des troubles particulièrement sérieux.
Encyclopédie Universelle. 2012.